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Du roman à la scène

nacdoyou

Une distribution de rêve, Vinnie Marano le metteur en scène et Robin Lane la productrice.

 

Je n’avais d’autre ambition en traduisant en Anglais mon roman « Te souviens-tu de moi? » paru chez Buchet-Chastel que de permettre à Toni, ma femme, et à nos amis new-yorkais de se faire une idée de mon travail. J’avais choisi ce roman car il avait été bien accueilli par la critique, mais aussi parce que cette histoire d’amitié, d’amour et de trahison est, selon moi, universelle même si elle se situe dans la France sous l’occupation. Je ne pouvais imaginer ce que cette traduction allait entraîner.

Tout commença lorsque Robin Lane, une productrice de théâtre et, comme Toni et moi, membre du National Arts Club de Manhattan, nous invita pour un weekend dans la maison que son mari et elle avaient louée pour l’été dans le Massachusetts. Lorsque Robin me prit à part dans leur jardin et me dit avoir aimé « Do you remember me? » j’en fus heureux, mais découvris vite qu’elle avait un projet en tête: elle voulait que j’adapte mon roman pour la scène. Oui, une pièce de théâtre dont elle allait produire la lecture au National Arts Club! Ma première réaction fut totalement négative; le calvaire du séjour à Buchenwald de mes deux protagonistes occupe près de la moitié de mon roman et je me voyais mal mettre une telle horreur en scène. Je me tirai de cette situation le plus poliment possible en promettant de penser à notre conversation, mais pour moi l’affaire était enterrée. J’allais bientôt comprendre que l’on ne refuse rien à Robin. Comme disent les américains « pour elle, non n’est pas une réponse. »

Je m’entendis donc un jour capituler et promettre de faire une tentative. L’objection que je n’avais jamais écrit pour le théâtre n’avait pas été retenue. J’avais bien écrit deux scénarios pour le cinéma et réalisé l’un d’eux, mais le théâtre présente nombre de contraintes auxquelles je ne m’étais jamais mesuré. L’aventure m’intimidait et me mettait au défi tout à la fois.

Bientôt je commençai à envoyer des « premiers jets » de scènes à Robin après en avoir discuté avec mon vieux copain John Hayes dont le rôle est non seulement d’éliminer mon accent français de mon écriture, mais aussi de me critiquer ce dont il ne se prive jamais. Dès le début, Robin se montra encourageante, m’affirmant que nous étions sur la bonne voie tout en me donnant des conseils. Je me souviens de ma réaction lorsqu’elle me conseilla d’écrire quelques dialogues humoristiques. Le public a besoin de rire, me dit-elle, il faut lui donner l’occasion de se détendre. Pardon? Où peut-être l’humour dans l’histoire d’un homme envoyant son meilleur ami à Buchenwald? Me prend-elle pour Mel Brooks? Refuser le défi n’était pas une option et je m’y attaquai. On dit souvent que si la tragédie est facile, la comédie est difficile. Je confirme.

Après des mois de travail et de ce que j’appelle des « coups de lime » Robin se déclara suffisamment satisfaite pour contacter des metteurs en scène. Je me souviens d’un déjeuner au cours duquel l’un d’entre eux nous exposa sa vision de ma pièce. Tout en hochant la tête, je réalisai que je m’apprêtais à opposer mon veto à ce professionnel du théâtre qui en savait tellement plus que moi sur la mise en scène. Oui, mais c’est moi l’auteur, pensai-je. Par bonheur Robin partagea mon avis.

Finalement, Robin envoya « Do you remember me? » à Vinnie Marano, un metteur en scène avec lequel elle avait déjà travaillé et qu’elle appréciait beaucoup. Bingo! Vinnie aima la pièce et nous nous mîmes à échanger des idées. J’appris beaucoup sous sa tutelle. Un exemple fut l’utilisation de flash-backs, un procédé narratif facile à utiliser au cinéma – trop facile en fait – mais que j’avais peine à visualiser sur une scène. Il y eut de nombreux échanges entre Robin, Vinnie et moi. Il se trouve par bonheur que j’adore corriger, améliorer, couper, réorganiser un texte.

La prochaine étape consista à approcher des acteurs dans l’espoir qu’ils aimeraient suffisamment la pièce pour s’engager à nos côtés. Ce fut alors que Robin eut un remarquable succès: Len Cariou, vainqueur du Tony de meilleur acteur pour son rôle dans Sweeny Todd et membre du Hall of Fame du Théâtre Américain, nous donna son accord. Quelques jours plus tard, Margaret Ladd, elle aussi une actrice distinguée, nous rejoignit suivie par d’autres acteurs et Voilà! comme on dit en Amérique, nous eûmes une distribution de rêve.

Je n’oublierai jamais la première lecture de travail de ma pièce. Ainsi que je le dis aux acteurs en les remerciant, ils me firent oublier que j’avais écrit les mots qui étaient sortis de leur bouche. Je ne m’étais pas préparé à être ainsi ému ou amusé par leurs répliques. Leur interprétation – silences, intonations, explosions de joie ou de colère – me procura une extraordinaire émotion.

Il y eut d’autres lectures, l’une d’entre elles dans la Paul Newman’s Library du célèbre Actors Studio. J’étais impressionné en en franchissant le seuil.

Le jour J arriva enfin. Lundi 19 Octobre. Un lundi car les acteurs de Broadway ne travaillent pas ce jour-là. Les invitations avaient été lancées depuis quelque temps et le nom de Len Cariou avait attiré une considérable attention. Après les dernières répétitions, les spectateurs eurent tôt fait de remplir la salle du National Arts Club. J’étais assis au premier rang entre Toni et John, mes deux fidèles supporters.

Ce qui suivit fut pour moi surréel. Pour quelque raison, je luttai constamment pour réaliser que j’avais écrit cette pièce à laquelle ces acteurs de talent donnaient vie. Et puis il y eut les applaudissements, l’invitation de Len Cariou à les rejoindre sur scène, les félicitations d’amis et d’inconnus. Je luttai pour appréhender la réalité.

Nous apprîmes le lendemain qu’un critique avait été dans le public et écrit un article positif. Je reçus aussi une invitation à assister aux lectures hebdomadaires de pièces à la Section Auteurs et Metteurs en scène de l’Actors Studio. Là je rencontre des professionnels de Broadway qui en savent davantage sur le théâtre que je n’en saurai jamais et j’en suis fasciné.

Et maintenant? La suite? Très franchement je n’en sais rien. C’est à Robin de jouer. Pour le moment je me contente de savourer la chance que j’ai eu de vivre une telle expérience et je suis de retour à mon Mac pour un nouveau roman.